2025, 2030, 2050… quels parcours professionnels face aux crises du 21e siècle ?

Pierre Peyretou
6 min readDec 9, 2020

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“Je suis étudiante en école d’ingénieurs spécialisés en aéronautique. En ce moment, je n’arrive pas à trouver de stage : alors un CDI, je ne vous en parle même pas ! Tout le secteur est en crise à cause du Covid. J’envisage une réorientation professionnelle.” Ce constat m’était partagé par Jeanne il y a quelques jours lors d’une formation sur le changement climatique.

1. Une carrière fait le lien entre priorités à 3 mois et à 30 ans.

Posons les enjeux avec une frise chronologique.

Vous êtes né en 1990 ? En 2050, vous aurez 60 ans, votre carrière ne sera pas finie. Vous êtes né en 2000 et vous êtes dans vos études supérieures ? En 2050, vous serez encore loin de la retraite.

La carrière, un moyen de dépasser la “tragédie des horizons” ?

En 2015, le gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney a consacré l’antagonisme entre intérêts à court terme et intérêts à long terme par l’expression la “tragédie des horizons. Dans une entreprise, les opérations se cadencent à l’heure, au jour et à la semaine. Les objectifs sont fixés pour 3, 6 ou 12 mois et les plans stratégiques dépassent rarement 3 à 5 ans. Les enjeux à 10, 15 ou 20 ans sont peu pris en compte : pourquoi regarder dans 10 ans si l’entreprise fait faillite dans 6 mois ?

Planifier son parcours professionnel incite à intégrer le long terme dans son quotidien.

A l’inverse, une carrière se planifie sur 2, 5, 10 ou 20 ans. En 2020, ces échéances nous projettent en 2025, 2030, 2040 voire 2050. A ces horizons de temps, les rapports scientifiques sont clairs : des mutations profondes à l’échelle planétaire auront lieu. Les activités humaines ont déstabilisé de nombreux équilibres naturels et climatiques. En 2019, le rapport de l’IPBES conclut :

“Dans la plupart des régions du monde, la nature a aujourd’hui été altérée de manière significative par de multiples facteurs humains, et la grande majorité des indicateurs relatifs aux écosystèmes et à la biodiversité montrent un déclin rapide. […] La biodiversité s’appauvrit plus rapidement que jamais dans l’histoire de l’humanité.”

Source : https://mackaycartoons.net/

2. Choisir des métiers pour mieux maîtriser notre destin collectif.

De nombreux autres signaux alertent : situation sanitaire, déplétion des ressources, tensions sociales et géopolitiques, innovations technologiques, etc. Ces bouleversements forcent à anticiper : quelles seront les capacités de réaction de notre société face à ces menaces ? Quelles seront les répercussions sur l’environnement économique et social dans les prochaines années ? Quelles perspectives de recrutement et d’emploi selon les secteurs ?

Faire face à ces défis = des métiers d’avenir + des solutions concrètes + du sens dans son travail ?

S’employer à réduire les risques et s’adapter dans son activité professionnelle pourrait se révéler une stratégie pertinente pour :

  • Choisir un métier d’avenir : travailler et proposer des briques de solutions concrètes contre des problèmes croissants sur le court, moyen et long terme semble un bon pari pour choisir des secteurs économiques pérennes.
  • Agir concrètement au quotidien : la peur, l’anxiété voire le déni sont des réactions fréquentes face à des menaces qui nous dépassent : que faire ? Par où commencer ? Le choix de son travail est une option concrète pour investir son temps et son énergie à la réduction de ces risques.
  • Trouver du sens dans son travail : une part croissante d’actifs expriment la volonté de postes plus utiles, plus concrets pour participer à des projets ambitieux et à impact positif. Ce phénomène touche toutes les tranches d’âge : de la sortie d’école jusqu’en fin de carrière. Le sens est tout trouvé dans son travail quand on tente de réduire les risques et mieux nous préparer collectivement.

3. Construire de nouvelles capacités face à ces menaces sont autant d’opportunités d’emplois, de métiers et de nouveaux secteurs d’activité.

Dans le secteur agricole, il faut trouver et déployer des solutions pour produire une alimentation saine et en quantité suffisante pour nourrir la population, tout en préservant les sols, la biodiversité et les réserves d’eau douce alors que les épisodes de sécheresse seront plus intenses et plus fréquents. La demande est là : l’alimentation bio a connu une croissance en valeur de 15,7% sur la seule année 2018. Les compétences nécessaires pour assurer une résilience alimentaire sont multiples : agronomes, chercheurs en biogéochimie, agriculteurs, entrepreneurs, spécialistes logistique, etc.

Dans l’industrie, les ruptures de stock des masques au début de l’épidémie de Covid (p.32) ont démontré que la France ne disposait pas des capacités industrielles pour les produire et réagir rapidement à cette crise sanitaire. Le numérique est un autre exemple frappant. Alors que l’économie se digitalise de plus en plus, la France et l’Europe sont très dépendantes de leurs partenaires économiques. Elles ne disposent ni des matières premières, ni des industries de transformation, de production ou d’assemblages. Les constructeurs de téléphones portables, d’ordinateurs et des systèmes informatiques sont asiatiques et américains.

Construire ces capacités industrielles et technologiques permettrait de disposer des compétences, de mieux maîtriser la chaîne de valeur, les cahiers des charges du hardware et du software, et de viser des équipements à durée de vie maximale plus économes en ressources et donc moins émetteurs de carbone.

Au delà d’une lecture par secteur et par métier, construire de nouveaux imaginaires collectifs est un enjeu fondamental pour associer un maximum de personnes, donner envie et être porteurs d’espoir. Prenons l’exemple du vélo et de l’aménagement du territoire. L’aménagement du territoire et les infrastructures conditionnent les distances parcourues au quotidien par les personnes et les marchandises, leur consommation d’énergie, leurs émissions de gaz à effet de serre, leur exposition à des augmentations de prix ou des problèmes d’approvisionnement. Dans l’imaginaire de nombreuses personnes, le vélo est passé en quelques années d’un mode de transport dangereux et marginal à une évidence pour se rendre au travail, faire ses courses voire emmener ses enfants à l’école. Les loueurs et les réparateurs de vélo sont devenus des nouveaux centres de la vie de quartier, le vélo est facteur d’intégration et de lien social. La demande pour les entreprises du secteur, fabricants, équipementiers et revendeur est en plein boom. Le premier ministre Jean Castex déclarait aux Sénateurs, le 16 juillet 2020 :

“Le vélo c’est bon pour l’environnement, c’est bon pour la santé […], c’est un sujet essentiel, un sujet concret, les gens vont comprendre cela, c’est une bonne façon de faire de l’écologie et du développement durable à la portée de tous et de toutes.”

Conclusion

Travailler à la réduction des risques et l’adaptation de notre société pour mieux maîtriser notre destin collectif dans les 10, 20 ou 30 prochaines années semble selon moi nécessaire, passionnant et source de nombreuses opportunités professionnelles.

Au boulot !

Sources pour aller plus loin

  1. Rapport de la Plénière de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques sur les travaux de sa septième session, IPBES
  2. Breaking the Tragedy of the Horizons, Mark Carney, Governor of the Bank of England
  3. Marché bio français: +15,7% en 2018, Natexbio
  4. Résilience Alimentaire, Les Greniers d’Abondance
  5. Rapport d’étape, Mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l’anticipation des risques pandémiques
  6. Analyse de la vulnérabilité d’approvisionnement en matières premières des entreprises françaises, Conseil Général de l’Economie
  7. Déclaration du Gouvernement au Sénat, Jean Castex Premier Ministre

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Pierre Peyretou

I help people and companies build a low-carbon economy, ESCP Affiliate Professor